Au-delà des mots...

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Regarder le monde

dimanche 11 février 2018

Requiem pour une Jeune Jument

Saint-Cloud, une joyeuse journée de découverte des courses pour le public, avec les rigolotes courses en poney shetland (avé la casaque).
Je travaille, j'alterne balances, rond de présentation, discussion avec le personnel de l'hippodrome (j'adore, j'apprends beaucoup).
Et puis les vraies courses...
Chevaux, jockeys, propriétaires, parieurs, public.
La clameur, les frissons. Décidemment il fait beau, c'est agréable de travailler là.
Sur la quatrième, Jeune Jument (je ne vous donnerai pas son nom) s'effondre. Double prise des antérieurs dans un trou puis deux (on rebouche mais sur terrain un peu trop souple ça peut ne pas tenir).
Je vois (je fais les photos puisque je travaille sur cette course) l'ambulance pour chevaux arriver, le drap terrible se tendre, les vétos passer derrière.
Il y aura ce moment atroce où son encolure passe au-dessus du drap, une envie de vivre dans son regard, une folie, une incompréhension.
Et le silence.
Son jockey (immense professionnel) passe devant moi, le regard figé, la mâchoire serrée. Il vient de vivre ça, cette vie fauchée sous lui.
Il court la suivante, contrat oblige.
Un ptit bout de chou demande à son papa si elle "a bobo la cheval". Son papa, qui découvre cet univers, lui répond que oui, mais on la soigne.
Je mens au petit bonhomme : "Oui, oui, ne t'inquiète pas, elle a juste du mal à marcher, comme toi quand tu tombes." 
Il comprend, il est à l'âge des essais, des chutes. Il sait qu'on se relève...
Aux vestiaires le silence règne. Pas besoin de se parler. On sait tous.
Ce foudroiement nous a terrassés mais on va continuer à bosser.
Mais on a mal, on a du chagrin. Le premier qui le dirait à haute voix, on sent bien que ça nous rendrait tous d'un seul coup trop fragiles.
Une heure plus tard je retrouve le bout de chou et son papa qui repartent. Il est heureux, il sautille en disant "c'est trop bien, c'est trop bien".
On a tellement bien fait de lui mentir.
Et toi, Jeune Jument, je ne t'ai jamais oubliée. Je n'ai, jusqu'à ce jour, jamais pu écrire une ligne sur toi.
Sur les photos qui précèdent ton fauchage, tu es juste si belle, avec cet élan gracieux. Tout est mouvement, souffle.
Et puis l'atroce, si vite, incompréhensible. Parce que tu étais follement vivante.
Je ne t'ai pas oubliée.
Tu m'as aussi fait comprendre la rudesse du métier de jockey.
Le tact des vétérinaires qui accomplissent un acte qu'ils savent faire mais dur, si dur.
Je ne mettrai pas la photo de cette avant-dernière foulée libre et pleine de vie.
Je n'ai jamais pu t'oublier.

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