Au-delà des mots...

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Regarder le monde

lundi 9 avril 2018

"Le sombre génie des lieux"

Autant le préciser d'emblée, cette chronique doit beaucoup à Pierre Assouline.
Son titre notamment.
Parce qu'il est de ceux qui, avec un talent immense, un travail acharné, ont donné corps, souffle à l'indicible, à ce qu'on aurait voulu pour toujours invisible.
J'ai eu la chance (professionnelle) il y a quelques années de pouvoir faire un reportage sur la Société Hippique Nationale de l'Ecole Militaire. 
Chance redoublée de ce que j'assistais alors aux reprises à destination des cavaliers aveugles issus de l'Institut national des jeunes aveugles (INJA).
Disons-le tout net : c'était assez... sport !
Comprenez par-là que des chevaux vivant en boxes (il y a peu de prairies au coeur de Paris) faisaient de leur mieux, et fort sympathiquement, avec ces cavaliers dotés d'autres perceptions, se guidant sur la respiration, l'effort musculaire de leur monture.
Les chiens-guides attendaient tranquillement tandis que les pigeons s'en donnaient à qui mieux mieux sur le tas de fumier devant les écuries.
J'avais, moi, le privilège, l'insouciance de celle qui, sans être ni militaire ni élève cavalière, sortait du métro pour retrouver l'atmosphère tant aimée des chevaux, des stalles en bois (je préfère tout de même les chevaux à minima en paddock), du fumier, de la musique des fers sur les pavés. Le tout dans un environnement exceptionnel.
Une fierté sans doute un peu niaise d'avoir été accréditée, "d'en être", pour quelques heures.
Et de revenir, en invitée, assister depuis les gradins, aux concours de la Saint-Georges dans le manège historique dit "manège Bossut", du nom du commandant Louis-Marie Bossut, brillantissime cavalier, mort au combat le 16 avril 1917. 
Sous la citation du pape Pie XI (dont j'ignorais totalement qu'il fût épris de cheval), "La civilisation profonde d'un peuple se révèle tout naturellement dans sa culture équestre."
Ce pape qui refusa de recevoir Hitler au Vatican.
Et d'y renifler cette délicieuse odeur de bois, de poussière, d'y encourager des cavaliers qui ont toujours faits de leur mieux avec des chevaux, disons, un peu fébriles.
Une sensation délicieuse de faire partie de ces "happy few", d'un "entre soi", entre crottin, métro, encolures à flatter.
Et puis, un jour, voir cette plaque et en garder la gorge nouée, aujourd'hui encore.
De ne plus pouvoir ignorer cette ignominie.
Le sort abject de ces hommes dans une Ecole militaire réquisitionnée par l'armée allemande le 8 septembre 1940.
Cinq semaines après l'entrée des troupes allemandes dans Paris.
Depuis, j'y suis retournée.
Je suis restée sur le seuil du manège, environnée par l'effroi qu'ont pu ressentir ceux qu'on a arrachés à leur vie, entassés là, ceux qui, peut-être, ont cherché la lumière au-delà des murs.
Je veux croire que le souffle des chevaux qui arpentent à nouveau le manège depuis des décennies nous relient à ces 743 "personnalités juives françaises" qui ont ensuite fait le trajet immonde vers Royallieu puis Auschwitz. 
D'où ils ne sont pas revenus.
Souffle de vie... 

« L'antisémitisme est inadmissible. Nous, chrétiens, nous sommes spirituellement des sémites. » Pie XI.


Cette plaque commémorative se situe à l'extérieur, côté avenue Duquesne.

Reprise des cavaliers de l'INJA...

Cavaliers guidés par les chevaux.

"La civilisation profonde d'un peuple se révèle tout naturellement dans sa culture équestre." Pape Pie XI
A lire/A suivre
https://www.manege-ecole-militaire.fr/section-%C3%A9questre-militaire/
http://www.occupation-de-paris.com/2014/01/l-ecole-militaire-de-paris.html
Ville lumière, années noires, Cécile Desprairies, préface de Pierre Assouline, Editions Denoël, 2008

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