Au-delà des mots...

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mardi 6 mars 2018

1942 : la tragédie de l'amazone

Il y a, à Paris, une magnifique demeure, désormais Musée Nissim-de-Camondo.
Jouxtant le parc Monceau (8e arrondissement), c'est un plaisir immense que de s'y promener avec le superbe livre de Pierre Assouline à la main (Le dernier des Camondo).
Et de repérer dans la cour écurie et remise.
Mais, sous la voûte, avant de se livrer aux délices de cette visite, une plaque, effroyable : les héritiers de cette demeure sont morts déportés à Auschwitz.
J'aime cette maison, elle me touche profondément. 
Mais peut-être plus encore le sort, la folie de Béatrice de Camondo, épouse Reinach, me bouleversent.
Béatrice a une passion dans sa vie : l'équitation. Dont elle dira que ses folles chevauchées (elle monte en amazone, chasse à courre, est au Bois [de Boulogne] tous les matins) l'emportent hors du monde.
Cette passion qui lui permettra, douloureusement, de surmonter la mort de ce frère tant aimé, Nissim, mort "pour la France" le 5 septembre 1917.
Une passion d'autant plus forte qu'elle est quasi sourde, ce qui contribuera sans doute largement à ce qu'elle ne veuille pas "entendre" (comprendre ?) ce que ses amis lui disent dès 1939 : les Nazis haïssent les Juifs, il faut partir.
Elle, l'héritière richissime, convertie au catholicisme, elle dont le frère est mort pour la France... Elle qui est française, contrairement à "ces Juifs immigrés"...
Folie ? Inconscience ?
Pierre Assouline notera avec une infinie justesse qu'elle est « plus israélite que juive, foncièrement française et aristocrate à sa manière, sûre d’elle et assez snob...".
Elle ne peut pas ne pas savoir... 
Décrets, ordonnances, spoliations, nouvelles arrivant d'Allemagne nazie, témoignages d'amis juifs ayant réussis à fuir, in extremis, se succèdent depuis... 1936.
Ignorant ces atroces échos, elle monte à cheval tous les matins dans les allées du bois de Boulogne, portant l’étoile jaune, obligatoire depuis juin 1942, et participe à des concours hippiques avec des officiers allemands. (source Wikipédia)
Drancy d'abord...
Le 20 novembre 1943, le convoi n° 62, dont Léon [Reinach, son mari], Bertrand et Fanny [leurs enfants] font partie, emmène 1 200 Juifs vers la mort; il arrive cinq jours plus tard à Auschwitz. D’après le récit de survivants de ce convoi, Léon et Bertrand auraient été supprimés parmi les premiers, Fanny aurait succombé au typhus peu après. 
Béatrice fait partie du convoi n° 69 du 7 mars 1944 qui compte 1 501 personnes et atteint Auschwitz le 10 mars. Elle y serait morte quinze jours avant l'évacuation du camp par les Allemands devant l'approche des troupes soviétiques (source Wikipédia).

A chacune de mes visites (nombreuses), je reste un moment devant cette plaque.
Je pense à cette incroyable femme, arrogante, folle de ses chevaux, enivrée de ses talents de cavalière, arborant pourtant son étoile de l'infamie aux milieu d'autres cavaliers, allemands...
Elle qu'aucun pur-sang n'aura pu protéger de l'ignominie nazie ni des affreuses connivences françaises.
Tragique amazone...

A lire
Le dernier des Camondo, Pierre Assouline.








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