Au-delà des mots...

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Regarder le monde

jeudi 15 mars 2018

Au cheval russe inconnu

Il y a quelques semaines, je parcourais les bords de Seine inondés à la recherche de mes statues équestres du cours La Reine (au pied du Grand Palais), histoire de voir si elles avaient leur piédestal dans l'eau. Car oui, retrouver les augustes Simon Bolivar, La Fayette ou le royal Albert 1er roi des Belges en train de faire trempette eût été un indicateur autrement plus alarmant que le plébéien zouave du pont de l'Alma...
Et quelle n'est pas ma surprise de découvrir (vous jugerez de mon égocentrisme) qu'on m'en avait rajouté une, en 2011, sans m'en avertir...
Celle sculpture a été réalisée par le sculpteur russe Vladimir Sourovtsev pour honorer les soldats (russes) combattants en France lors de la Première Guerre mondiale.
Inaugurée en grands sabots par deux illustres Premiers ministre : M. François Fillon et M. Vladimir Poutine (oui, il n'était pas tsar de toutes les Russies démocratiques cette année-là). Ce dernier ayant ce jour-là un emploi du temps de... ministre dont vous prendrez agréablement connaissance dans le lien historique d'Artcorusse (voir A lire).
Donc balalaïkas, choeur du monastère Sretenski de Moscou et bénédiction par Monseigneur Nestor de Chersonèse. Un coup à pas pouvoir dormir pendant la cérémonie !
Je reviens à ma découverte le jeudi 1er février 2018...
Le nez en l'air en raison de la position éminente des trois cavaliers précités, j'ai bien failli me prendre les pieds (enfin, presque) dans l'encolure d'un cheval qui, quoique en bronze, est pratiquement à hauteur d'homme ou de femme, en train de chercher une paquerette à brouter (dans une démarche digne de la Charte sur le bien-être équin). 
Son cavalier s'occupe à peine de lui, tout occupé à faire le crâneur à côté, planté dans ses superbes bottes dignes des ballets Moïsseïev (avec plein de trémas, ça fait plus chic) et portant beau cette tunique qui a fait la gloire des cabarets russes il y a... un siècle.
Moins une et j'apportais à ce cheval sa ration de foin, de l'eau et, pourquoi pas, quelques carottes.
Oui, j'avoue (avant d'historiques et pertinentes digressions), c'est de loin (il y aurait dans Paris plus d'une centaine de statues équestres [je vais aller les recompter, rassurez-vous] et j'ai bien dit statues et pas frontons, bas-reliefs, hauts-reliefs, peintures...) la représentation d'un cavalier et de sa monture (non montée) la plus émouvante que j'ai pu croiser dans Paris.
Ce cheval, il est là, à portée de notre main, avec cette encolure qu'on a envie de caresser, ces mots qu'on a envie de lui murmurer pour savoir s'il va bien.
Libre, paisible, sans selle, sans étrier, sans mors agressif. Il est simplement là, un cheval. En plein Paris. 
En vérité (et voilà mes digressions historiques et pertinentes), j'ai décidé, moi, qu'il rend hommage aux  chevaux des troupes impériales russes (à un an près elles étaient révolutionnaires) parachutées (si je puis dire) en 1916 en pleine boucherie (les chevaux survivants, fort peu, à la fin de la guerre y partiront) quelque part dans la riante Champagne assiégée. 
C'est peu de dire d'ailleurs que le transport des hommes et chevaux a relevé d'un parcours apocalyptique (en très gros, ils rallieront le golfe de Corée [depuis les immensités russes] par voie ferrée puis continueront par bateau jusqu'à la France).
Faut-il vous raconter la suite ? 
Ces chevaux-là et leurs cavaliers paieront un tribut immonde, les hommes étant de plus partagés entre loyauté à l'Empire et loyauté à la Révolution naissante dans leur pays (mutinerie de La Courtine, expéditions en Algérie...).
 Les chevaux, eux, vivant et mourant dans la peur, l'incompréhension d'un univers qui n'est supportable pour aucun "être sensible".
Et, une fois encore, nos politiques les ont oubliés sur la plaque qui figure sur le monument : "À la mémoire des soldats et officiers du corps expéditionnaire russe ayant combattu sur le sol français entre 1916 et 1918. La France et la Russie reconnaissantes". 
Ce jour de février 2018, j'ai pensé à tous ces chevaux crevés pour que nous ne vivions pas sous le joug d'une puissance ennemie, que nous soyons libres.

"Aux [...] chevaux éventrés par les obus,
crevés de misère et de fatigue
empoisonnés par les gaz, vomissant leurs entrailles
dans la boue et dans le sang
en attendant d'être dépecés par les hommes affamés."
Ernst Johannsen, Cheval de guerre, 1929
Cité par Eric Baratay, in Bêtes des tranchées, 2013

Alors, libre à nous face à ce cheval paisible, de leur rendre justice, en lui murmurant que les bêtes ne sont pas celles qu'on croit. Et qu'il est beau.

A lire 
Les chevaux de Paris, photographies de Rosine Mazin, texte de Marc Gaillard, Editions Hermé, 1986
https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_statues_%C3%A9questres_de_Paris 
https://fr.wikipedia.org/wiki/Cheval_durant_la_Premi%C3%A8re_Guerre_mondiale
https://fr.wikipedia.org/wiki/Corps_exp%C3%A9ditionnaire_russe_en_France
http://www.france24.com/fr/20160416-grande-guerre-arrivee-corps-expeditionnaire-russe-france-brigade-mutinerie-bolchevique
http://artcorusse.org/corp-expeditionnaire-russe-monument-a-paris/ 







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