Au-delà des mots...

Au-delà des mots...
Regarder le monde

jeudi 15 mars 2018

Au cheval russe inconnu

Il y a quelques semaines, je parcourais les bords de Seine inondés à la recherche de mes statues équestres du cours La Reine (au pied du Grand Palais), histoire de voir si elles avaient leur piédestal dans l'eau. Car oui, retrouver les augustes Simon Bolivar, La Fayette ou le royal Albert 1er roi des Belges en train de faire trempette eût été un indicateur autrement plus alarmant que le plébéien zouave du pont de l'Alma...
Et quelle n'est pas ma surprise de découvrir (vous jugerez de mon égocentrisme) qu'on m'en avait rajouté une, en 2011, sans m'en avertir...
Celle sculpture a été réalisée par le sculpteur russe Vladimir Sourovtsev pour honorer les soldats (russes) combattants en France lors de la Première Guerre mondiale.
Inaugurée en grands sabots par deux illustres Premiers ministre : M. François Fillon et M. Vladimir Poutine (oui, il n'était pas tsar de toutes les Russies démocratiques cette année-là). Ce dernier ayant ce jour-là un emploi du temps de... ministre dont vous prendrez agréablement connaissance dans le lien historique d'Artcorusse (voir A lire).
Donc balalaïkas, choeur du monastère Sretenski de Moscou et bénédiction par Monseigneur Nestor de Chersonèse. Un coup à pas pouvoir dormir pendant la cérémonie !
Je reviens à ma découverte le jeudi 1er février 2018...
Le nez en l'air en raison de la position éminente des trois cavaliers précités, j'ai bien failli me prendre les pieds (enfin, presque) dans l'encolure d'un cheval qui, quoique en bronze, est pratiquement à hauteur d'homme ou de femme, en train de chercher une paquerette à brouter (dans une démarche digne de la Charte sur le bien-être équin). 
Son cavalier s'occupe à peine de lui, tout occupé à faire le crâneur à côté, planté dans ses superbes bottes dignes des ballets Moïsseïev (avec plein de trémas, ça fait plus chic) et portant beau cette tunique qui a fait la gloire des cabarets russes il y a... un siècle.
Moins une et j'apportais à ce cheval sa ration de foin, de l'eau et, pourquoi pas, quelques carottes.
Oui, j'avoue (avant d'historiques et pertinentes digressions), c'est de loin (il y aurait dans Paris plus d'une centaine de statues équestres [je vais aller les recompter, rassurez-vous] et j'ai bien dit statues et pas frontons, bas-reliefs, hauts-reliefs, peintures...) la représentation d'un cavalier et de sa monture (non montée) la plus émouvante que j'ai pu croiser dans Paris.
Ce cheval, il est là, à portée de notre main, avec cette encolure qu'on a envie de caresser, ces mots qu'on a envie de lui murmurer pour savoir s'il va bien.
Libre, paisible, sans selle, sans étrier, sans mors agressif. Il est simplement là, un cheval. En plein Paris. 
En vérité (et voilà mes digressions historiques et pertinentes), j'ai décidé, moi, qu'il rend hommage aux  chevaux des troupes impériales russes (à un an près elles étaient révolutionnaires) parachutées (si je puis dire) en 1916 en pleine boucherie (les chevaux survivants, fort peu, à la fin de la guerre y partiront) quelque part dans la riante Champagne assiégée. 
C'est peu de dire d'ailleurs que le transport des hommes et chevaux a relevé d'un parcours apocalyptique (en très gros, ils rallieront le golfe de Corée [depuis les immensités russes] par voie ferrée puis continueront par bateau jusqu'à la France).
Faut-il vous raconter la suite ? 
Ces chevaux-là et leurs cavaliers paieront un tribut immonde, les hommes étant de plus partagés entre loyauté à l'Empire et loyauté à la Révolution naissante dans leur pays (mutinerie de La Courtine, expéditions en Algérie...).
 Les chevaux, eux, vivant et mourant dans la peur, l'incompréhension d'un univers qui n'est supportable pour aucun "être sensible".
Et, une fois encore, nos politiques les ont oubliés sur la plaque qui figure sur le monument : "À la mémoire des soldats et officiers du corps expéditionnaire russe ayant combattu sur le sol français entre 1916 et 1918. La France et la Russie reconnaissantes". 
Ce jour de février 2018, j'ai pensé à tous ces chevaux crevés pour que nous ne vivions pas sous le joug d'une puissance ennemie, que nous soyons libres.

"Aux [...] chevaux éventrés par les obus,
crevés de misère et de fatigue
empoisonnés par les gaz, vomissant leurs entrailles
dans la boue et dans le sang
en attendant d'être dépecés par les hommes affamés."
Ernst Johannsen, Cheval de guerre, 1929
Cité par Eric Baratay, in Bêtes des tranchées, 2013

Alors, libre à nous face à ce cheval paisible, de leur rendre justice, en lui murmurant que les bêtes ne sont pas celles qu'on croit. Et qu'il est beau.

A lire 
Les chevaux de Paris, photographies de Rosine Mazin, texte de Marc Gaillard, Editions Hermé, 1986
https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_statues_%C3%A9questres_de_Paris 
https://fr.wikipedia.org/wiki/Cheval_durant_la_Premi%C3%A8re_Guerre_mondiale
https://fr.wikipedia.org/wiki/Corps_exp%C3%A9ditionnaire_russe_en_France
http://www.france24.com/fr/20160416-grande-guerre-arrivee-corps-expeditionnaire-russe-france-brigade-mutinerie-bolchevique
http://artcorusse.org/corp-expeditionnaire-russe-monument-a-paris/ 







mardi 6 mars 2018

1942 : la tragédie de l'amazone

Il y a, à Paris, une magnifique demeure, désormais Musée Nissim-de-Camondo.
Jouxtant le parc Monceau (8e arrondissement), c'est un plaisir immense que de s'y promener avec le superbe livre de Pierre Assouline à la main (Le dernier des Camondo).
Et de repérer dans la cour écurie et remise.
Mais, sous la voûte, avant de se livrer aux délices de cette visite, une plaque, effroyable : les héritiers de cette demeure sont morts déportés à Auschwitz.
J'aime cette maison, elle me touche profondément. 
Mais peut-être plus encore le sort, la folie de Béatrice de Camondo, épouse Reinach, me bouleversent.
Béatrice a une passion dans sa vie : l'équitation. Dont elle dira que ses folles chevauchées (elle monte en amazone, chasse à courre, est au Bois [de Boulogne] tous les matins) l'emportent hors du monde.
Cette passion qui lui permettra, douloureusement, de surmonter la mort de ce frère tant aimé, Nissim, mort "pour la France" le 5 septembre 1917.
Une passion d'autant plus forte qu'elle est quasi sourde, ce qui contribuera sans doute largement à ce qu'elle ne veuille pas "entendre" (comprendre ?) ce que ses amis lui disent dès 1939 : les Nazis haïssent les Juifs, il faut partir.
Elle, l'héritière richissime, convertie au catholicisme, elle dont le frère est mort pour la France... Elle qui est française, contrairement à "ces Juifs immigrés"...
Folie ? Inconscience ?
Pierre Assouline notera avec une infinie justesse qu'elle est « plus israélite que juive, foncièrement française et aristocrate à sa manière, sûre d’elle et assez snob...".
Elle ne peut pas ne pas savoir... 
Décrets, ordonnances, spoliations, nouvelles arrivant d'Allemagne nazie, témoignages d'amis juifs ayant réussis à fuir, in extremis, se succèdent depuis... 1936.
Ignorant ces atroces échos, elle monte à cheval tous les matins dans les allées du bois de Boulogne, portant l’étoile jaune, obligatoire depuis juin 1942, et participe à des concours hippiques avec des officiers allemands. (source Wikipédia)
Drancy d'abord...
Le 20 novembre 1943, le convoi n° 62, dont Léon [Reinach, son mari], Bertrand et Fanny [leurs enfants] font partie, emmène 1 200 Juifs vers la mort; il arrive cinq jours plus tard à Auschwitz. D’après le récit de survivants de ce convoi, Léon et Bertrand auraient été supprimés parmi les premiers, Fanny aurait succombé au typhus peu après. 
Béatrice fait partie du convoi n° 69 du 7 mars 1944 qui compte 1 501 personnes et atteint Auschwitz le 10 mars. Elle y serait morte quinze jours avant l'évacuation du camp par les Allemands devant l'approche des troupes soviétiques (source Wikipédia).

A chacune de mes visites (nombreuses), je reste un moment devant cette plaque.
Je pense à cette incroyable femme, arrogante, folle de ses chevaux, enivrée de ses talents de cavalière, arborant pourtant son étoile de l'infamie aux milieu d'autres cavaliers, allemands...
Elle qu'aucun pur-sang n'aura pu protéger de l'ignominie nazie ni des affreuses connivences françaises.
Tragique amazone...

A lire
Le dernier des Camondo, Pierre Assouline.








vendredi 2 mars 2018

Le crottin c'est trop génial

Une suite tout à fait logique, après les décrottoirs !
Je ne vous ferai pas l'injure de vous rappeler la place qu'il tient dans nos vies équestres !
Qu'il sorte (surtout quand on a fini de nettoyer boxes, paddocks) et nous (je) râlons !
Qu'il ne sorte pas et... nous paniquons...
J'ai, pour ma part (et je ne vous les infligerai pas), une quantité (agricole) de photos des crottins de Master (pour transmission au véto) dans tous leurs états (frais, demi-frais, semi-liquide...).
Et je ressens une pointe de nostalgie en me remémorant que j'étais chargée (et terrifiée), petite fille, d'aller ramasser ceux des chevaux de trait bretons à Irvillac (Finistère Nord), parce que, disait ma grand-tante, institutrice très à l'ancienne, "c'est bon pour les rosiers". 
Mais j'avoue que le cul de ces chevaux-là, par ailleurs tout à fait bonasses (les chevaux), me faisait très peur.
D'accord, je suis fêlée. Mais il y a pire que moi et j'en ai la preuve !
En 2011 (2012 ?) Jean-Louis Gouraud toujours lui !) publiait Eloge du crottin, sur papier pur... crottin, avec des textes de Patrick Grainville, Jérôme Garcin, Bartabas, Tomas Ingi Olrich, André Veltier, Bernard du Boucheron, Jean Paul Guerlain, Jean-Loup Trassard, Sylvain Tesson, Christian Delâge, Jean-Noël Marie ou Jean-Pierre Digard, chacun faisant l’éloge de « la formidable forge des fesses de la plus somptueuse créature de la terre ».
Le prix était de 360 €, ce qui en fait, à plus d'un titre, un ouvrage... culte !
Pour ma part, modestement, j'ai juste une voiture qui embaume (qui "pue" dit le mari, inculte) le crottin, que je ne nettoie pas pour ne jamais oublier cet inestimable parfum...

A lire/A suivre
http://www.moulinapapier.com/images/stories/livre-eloge.du-crottin.png
https://educalingo.com/fr/dic-fr/crottin 


2009, le crottin de luxe, à Vincennes.

vendredi 23 février 2018

La complainte des petits décrottoirs

Scellés (le plus souvent dans les murs) les décrottoirs font partie de ce patrimoine d'autant plus invisible que, situés à hauteur de pied, ils faisaient partie de ces ornements utilitaires qui répondaient à une mémoire procédurale (celle dont on se sert pour passer les vitesses par exemple), c'est-à-dire se débarrasser de la boue, du crottin.
En un mot, ils procédaient d'une fonction hygiénique (le miasme, la matière, l'odeur restant hors les murs des maisons).
Ceux que j'ai rencontrés (mais oui) font partie des décrottoirs humbles, modestes, souvent commandés à moindre coût dans les catalogues des fonderies.
Aujourd'hui inutiles (en ville ou village), ils ont subi bien des aléas, sont abimés, tordus, méprisés, voire insultés par les passants avinés qui passeraient trop près du mur.
Pourtant, sans eux il n'était pas question de rentrer dans la maison.
Mais voilà, à eux la chaussure sale, empuantie, sans qu'on daignât baisser l'oeil sur eux.

Pour parodier La complainte des petits cabinets, délicieuse chanson des Frères Jacques, 
on pourrait chanter
Car nous ne sommes que les petits [décrottoirs] cabinets,
Les petits [décrottoirs] cabinets de province
Ceux que l'on évince
Eh bien soit ! Nous acceptons la guerre
Et nous serons les prolétaires, les prolétaires.


Les décrottoirs de ville, eux, ont eu leur heure de gloire, de design dirait-on aujourd'hui. 
A preuve, cette exposition la bien nommée 1 000 décrottoirs, organisée à Bruxelles en 2011, où figuraient des photographies de trouvailles extraordinaires, témoignant de ce que cet objet n'a pas toujours été un objet de mépris, loin de là !

Alors dans vos déambulations, baissez les yeux et cherchez-les du regard. Ils ont bien mérité qu'on prenne un peu de temps pour eux, qui ont tant supporté de semelles et de crottes !



A lire/A savoir
http://www.lepoint.fr/culture/grandeur-et-decadence-du-decrottoir-17-08-2011-1363406_3.php
https://www.cehibrux.be/chroniques/visites-conferences-livres/125-1000-decrottoirs-

A voir 
La page de l'inventaire des décrottoirs : http://cfpphr.free.fr/decrottoir.htm
https://e-monumen.net/patrimoine-monumental/tu_duch_1896_pl309-decrottoirs-grilles-gratte-pieds/ 

Rendre à César...
La dernière photo (Charleville-Mézières) est extraite
https://commons.wikimedia.org/wiki/Category:Dietmar_Rabich

Document e-monumen catalogue de la fonderie de Tusey (Meuse)

Modeste décrottoir à Nissan-les-Ensérune (Hérault)

Idem


Idem

Idem

Idem (mais bien coincé aujourd'hui !)

Idem


Le luxe à Charleville-Mézières

mercredi 21 février 2018

Boute-roues, bouteroues, chasse-roues et consorts...

Chers lecteurs/Chères lectrices
Quel soulagement pour vous de lire enfin ce billet annoncé... il y quelques jours et par devers moi gardé !
Et quelle déception, pour moi, d'avoir passé tant de temps à trier mes archives et à trouver si peu d'informations et de photos desdits boute..., chasse...
Mea maxima culpa !
Mais qui s'explique, anthropologiquement, sociologiquement (rien que ça), mécaniquement.
En effet je suis, comme vous, jusqu'à preuve du contraire, une bipède dont le regard est donc juché à une certaine hauteur (je vous maintiens dans l'ignorance).
Par ailleurs plutôt motorisée, donc entre cheval vapeur (ch) et chevaux fiscaux (CV) (le cheval-vapeur est une unité de puissance ne faisant pas partie du Système international d'unités, qui exprime une équivalence entre la puissance fournie par un cheval tirant une charge et celle fournie par une machine de propulsion à vapeur ou un moteur à combustion). Et toc (Wikipédia) !
J'y arrive ! Fascinée par les portes, les mangeoires, les rateliers..., j'ai donc purement et simplement ignoré (ou méprisé) "cette pièce métallique ou en pierre située au pied d'une porte cochère ou d'un mur et qui est destinée à empêcher les roues de détériorer le mur. On le désigne également par boute-roue ou bouteroue et il a parfois pour synonyme garde-grève (garde-heurt en Normandie)".... (Wikipédia, toujours).
La faute est grande je l'avoue, et mes archives pauvres.
Bien sûr, j'aurais pu me précipiter à Montpellier mais les températures glaciales qui règnent ces jours derniers m'ont quelque peu découragée.
Nota : dans un élan quasi-sacrificiel, je vous ai fait quelques photographies de boute... à Nissan-les-Ensérune, cette après-midi même, rongée par le remords. Vous y remarquerez la rusticité des dispositifs, cette commune ayant peu à faire valoir de côté là, riche jusque dans les années 1970 d'une activité viticole plutôt florissante. Lourds, massifs, petits, plus hauts, bruts de décoffrage... Seuls les décrottoirs auront l'honneur de la ferronnerie.






Dieu merci, à ma belle surprise, d'aucuns n'ont pas eu ni ce mépris ni cette ignorance.
Grâce à leurs travaux, recherches, arpentages, notes de bas de page, on trouve des merveilles.
J'ai donc une pensée très reconnaissante à leur égard, et pleine d'admiration pour ces cochers d'attelage qui se livraient à un exercice terriblement périlleux, celui de devoir faire tourner et rentrer telle ou telle voiture attelée à des chevaux (êtres sensibles par excellence) dans des espaces dont la géométrie défie parfois l'imagination. 
Pour les passagers aussi qui, trop heureux d'être arrivés enfin à bon port, subissaient in fine quelques solides secousses renvoyées par un moyeu en proie audit boute...

A toutes fins utiles, j'ai mis un lien vers une bibliothèque concernant l'attelage. 
Un avertissement (je suis bonne copine) : si, par mégarde, vous commencez, à vouloir vous instruire dans ce domaine, vous en avez juste... pour les cent cinquante prochaines années à apprendre, comprendre des propos bourrés d'érudition, rédigés par des chercheurs, passionnés, fondus capables d'aller chercher au fond d'une déchetterie en Basse-Moldavie quelque tréport ou arc-boutant (débrouillez-vous...). 
Ils sont redoutables MAIS passionnants.
 






Trois bouteroues piscénois.

Sur catalogue

Détournement intrépide parce qu'il n"est jamais garantit que les esprits  les esprits ne cherchent pas à se venger.
Pierre menhir de Palluel (Nord, enfin Hauts de France). 


Note sur le détournement intrépide de Palluel : il n'est jamais garanti que les esprits ne cherchent pas à se venger.


A lire/A consulter
http://cfpphr.free.fr/chasseroue.htm (photos sublimes)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Chasse-roue (excellent article)
https://e-monumen.net/ 
http://attelagepeda.info/Bibliotheque.html

samedi 17 février 2018

Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée

Commencer ce petit billet sur les portes (parfois cochères) par une citation d'Alfred de Musset, vous avouerez que cela augure bien d'une suite d'un savoir incommensurable.
Sincèrement, pas faux !
Et puis cela masquera peut-être la pauvreté de mon vocabulaire en grammaire des portes (ben oui on dit comme ça !).
Cette curiosité très saine a commencé très tôt. Parisienne à une époque où l'on gardait la voiture au garage pour les vacances, j'ai multi-arpenté les rues de Paris, noires de suie (pensez, j'ai même connu les Halles, c'est dire que je suis tout à fait cacochyme), sans code à composer, avec des portes, n'importe lesquelles, qui s'ouvraient, bonnes filles, sur des artisans qui se contre-tamponnaient de la beauté des lieux, pourvu que l'espace soit là et la possibilité d'accueillir les clients (donc avec des portes ouvrables...).
Armée de L'OUVRAGE indispensable à l'arpenteur, j'ai nommé le Dictionnaire historique des rues de Paris (béni soit Jacques Hillairet), numéro par numéro de rue (un certain nombre à Paris...), je flâne, je pousse, je renifle, je traverse les siècles, j'apprends ce que je ne vois pas.
C'est délicieux une porte : ouverte, c'est l'invitation ; fermée, c'est l'invitation... à la curiosité (trou de serrure !) !
Plus tard un surdoué nommé André Malraux, notoirement sans scrupule pour tout ce qui pouvait se piquer, statuettes, idées, feint le génie (oui, l'idée n'est pas la sienne) : si on nettoyait tout ça...
Vous connaissez la suite : si on virait les artisans de Paris (et les ouvriers), noble idée des Tiberi et Chirac, si la plèbe allait voir ailleurs si l'herbe n'est pas plus verte et, au cas où elle reviendrait, cette lie, si on flanquait des codes partout pour se protéger.
Bon, du coup j'ai fait histoire-géo parce que faut pas déconner.
Quelques décennies plus tard (je survole sinon c'est plus un billet), j'ai un peu fréquenté les chevaux et parfois suis même payée pour ça.
Mais les temps avaient changé... Et aujourd'hui, même pour faire une misérable photo de façade il faut montrer sabot blanc (ou balzane blanche). Quant à rentrer, munie d'un appareil photo qui plus est, alors là c'est l'émeute, alarmes qui sonnent, menaces d'appeler la police (non montée).
Mais c'est sans compter sur l'effet CHEVAL.
Mon truc : expliquer que je ne viens pas pour l'argenterie mais que là, la fontaine, là, pardon, regardez, elle abreuvait les chevaux et que là, c'était une écurie (on est en plein Paris) et c'est du 100 %... tout change. Parce qu'à votre interlocuteur renfrogné, vous apportez du rêve, des odeurs, une effervescence qu'il ignorait. Et celui qui allait m'embastiller appelle un voisin et je répète, je raconte et le temps s'arrête.
Et on me donne des numéros de tél de syndics, des tuyaux pour appeler le concierge de l'ambassade X... ("C'est mon cousin, racontez-lui").
Effet CHEVAL vous dis-je...
Alors finalement je ne vais pas vous enquiquiner avec la grammaire des portes (mais oui, 2), qu'elles soient prétentieuses, monumentales, bouffies, faussement discrètes, qu'elles appartiennent à des hôtels particuliers, d'anciens relais de poste (partout en France), à des granges (partout en France). 
Moi, elles m'émeuvent, me bousculent, m'intriguent, me font chavirer.
En gros, une seule rue peut me prendre... une journée.
Le cheval était là, je le sais, je le vois encore, à un détail, à une monumentalité.
Et cette histoire-là ne laisse personne indifférent. Pourvu qu'on prenne le temps de la raconter.

A lire
TOUT M. Hillairet.
La grammaire des portes de Paris, Claude Mignot, Parigramme
Les plus belles portes de Paris, Jean-Marc Larbodière, Massin

A relire
Nana, d'Emile Zola, notamment le passage où elle va aux courses, environnée de four-in-hand, de mails-coaches, de victorias, coupés, landaus, et donc de chevaux... (Il fallait bien loger tout cela...).
Et la joie de cette "cocotte" quand elle devient propriétaire de chevaux et qu'elle a enfin SON cocher...

A visiter
Le musée de la porte et de la ferronnerie, Pézenas

Fontaine/abreuvoir, derrière (!) une porte (Paris)


Hôtel particulier, Paris

Librairie Hatier...

No comment...

Cour dite de l'Etrier, Louvre. Derrière l'ancien manège.

Sur les quais (de Paris)

Rue Vieille-du-Temple, Paris

Sortie latérale du Grand Palais

LE temple : les écuries de Chantilly

Haras de Rodez

Haras de Rodez (de dos, JC Adelin)

Haras de Rodez, suite

Et presque fin

Rodez, fin !

Je ne sais plus où mais sublime

Caylar, Hérault

Orléans, Loiret

Saint-Martin de Londres, Hérault

Ô Toulouse

Ô Toulouse 2

Ô Toulouse 3

dimanche 11 février 2018

Requiem pour une Jeune Jument

Saint-Cloud, une joyeuse journée de découverte des courses pour le public, avec les rigolotes courses en poney shetland (avé la casaque).
Je travaille, j'alterne balances, rond de présentation, discussion avec le personnel de l'hippodrome (j'adore, j'apprends beaucoup).
Et puis les vraies courses...
Chevaux, jockeys, propriétaires, parieurs, public.
La clameur, les frissons. Décidemment il fait beau, c'est agréable de travailler là.
Sur la quatrième, Jeune Jument (je ne vous donnerai pas son nom) s'effondre. Double prise des antérieurs dans un trou puis deux (on rebouche mais sur terrain un peu trop souple ça peut ne pas tenir).
Je vois (je fais les photos puisque je travaille sur cette course) l'ambulance pour chevaux arriver, le drap terrible se tendre, les vétos passer derrière.
Il y aura ce moment atroce où son encolure passe au-dessus du drap, une envie de vivre dans son regard, une folie, une incompréhension.
Et le silence.
Son jockey (immense professionnel) passe devant moi, le regard figé, la mâchoire serrée. Il vient de vivre ça, cette vie fauchée sous lui.
Il court la suivante, contrat oblige.
Un ptit bout de chou demande à son papa si elle "a bobo la cheval". Son papa, qui découvre cet univers, lui répond que oui, mais on la soigne.
Je mens au petit bonhomme : "Oui, oui, ne t'inquiète pas, elle a juste du mal à marcher, comme toi quand tu tombes." 
Il comprend, il est à l'âge des essais, des chutes. Il sait qu'on se relève...
Aux vestiaires le silence règne. Pas besoin de se parler. On sait tous.
Ce foudroiement nous a terrassés mais on va continuer à bosser.
Mais on a mal, on a du chagrin. Le premier qui le dirait à haute voix, on sent bien que ça nous rendrait tous d'un seul coup trop fragiles.
Une heure plus tard je retrouve le bout de chou et son papa qui repartent. Il est heureux, il sautille en disant "c'est trop bien, c'est trop bien".
On a tellement bien fait de lui mentir.
Et toi, Jeune Jument, je ne t'ai jamais oubliée. Je n'ai, jusqu'à ce jour, jamais pu écrire une ligne sur toi.
Sur les photos qui précèdent ton fauchage, tu es juste si belle, avec cet élan gracieux. Tout est mouvement, souffle.
Et puis l'atroce, si vite, incompréhensible. Parce que tu étais follement vivante.
Je ne t'ai pas oubliée.
Tu m'as aussi fait comprendre la rudesse du métier de jockey.
Le tact des vétérinaires qui accomplissent un acte qu'ils savent faire mais dur, si dur.
Je ne mettrai pas la photo de cette avant-dernière foulée libre et pleine de vie.
Je n'ai jamais pu t'oublier.